Aux Cigales, on investit bien plus que son argent
Renonçant à leurs intérêts, consacrant du temps à l’accompagnement des projets financés, les membres des Cigales, clubs d’investisseurs locaux et solidaires, sont un complément parfois décisif aux banques. Rencontre dans la Meuse.
Élise Descamps, à Metz (Moselle), le 07/11/2021
Chaque mois, Françoise, Jean-Luc, Danièle, Isabelle, Claude, Michel et 13 autres « cigaliers » versent chacun entre 10 et 40 € sur un compte indivis (compte commun). Tous les deux mois, ils se réunissent chez l’un ou chez l’autre, entre Verdun et Bar-le-Duc, dans la jolie vallée de l’Aire, pour décider de l’affectation de cet argent. Toute l’année, ils accompagnent humainement les porteurs des projets économiques qu’ils cofinancent. Leur critère premier : soutenir leur territoire meusien, souvent via des créations d’entreprises dans le domaine des circuits courts alimentaires, de l’insertion, de l’artisanat… Entre eux, l’aventure a commencé il y a vingt ans, même si le groupe s’est depuis en grande partie renouvelé. « Nous nous connaissions via des associations locales. Quand nous avons entendu parler du mouvement national des Cigales, ces ”clubs d’investisseurs pour une gestion alternative et locale de l’épargne solidaire”, nous avons voulu nous lancer, raconte Danièle Tridon, travailleuse sociale retraitée. Personnellement, ce qui m’a animée est la possibilité de soutenir des porteurs de projets avec des valeurs sociales et environnementales. Je n’aurais pas pu faire ça toute seule. » Actuellement, elle accompagne Jordan, un luthier ayant besoin d’un coup de pouce pour l’aider à se structurer comme entrepreneur.
Telle est l’originalité du réseau des 185 Cigales en France (près de 2 200 cigaliers), réunissant chacune entre 5 et 20 épargnants, pour une durée de cinq ans renouvelables : ceux-ci ne font pas que prêter de l’argent mais rencontrent régulièrement et soutiennent bénévolement ceux qu’ils financent. « Nous sommes des très petits investisseurs qui accompagnent des très petites entreprises. Nous vivons comme eux, faisons route avec eux. Le premier problème de la TPE, c’est la solitude et le fait de devoir tout faire sans avoir toutes les compétences. Et c’est là que nous œuvrons », commente Jean-Luc Poncin. Il en est d’autant plus convaincu que, brasseur, il a bénéficié lui aussi de cofinancement de cette Cigale. « Les prêts des Cigales sont reconnus par les banques comme une partie de l’apport personnel, or c’est souvent ce qui manque, relève-t-il. En plus, ils apportent une caution de confiance car c’est tout un groupe qui croit au projet. »
Avec une majorité de retraités (de l’enseignement, la culture, l’agriculture…) et même un prêtre, les compétences et regards présents dans le groupe sont des plus variés. « L’un sera plus sensible à la viabilité économique du projet, l’autre au risque d’épuisement professionnel. Nous échangeons énormément et décidons par le consensus », explique Françoise Thomas, chef d’entreprise à la retraite, gérante et trésorière de la Cigale. Ses tableaux permettent d’affirmer que les 60 000 € versés au total par les membres depuis vingt ans ont permis d’aider 40 projets, de l’épicerie multiservices à l’élevage d’escargots en passant par un atelier de reliure et un bar alternatif. « Il y a eu des flops, nous avons perdu un peu d’argent – bien peu ramené à chaque participant –, mais nous acceptons ce risque. Il nous incite aussi à être particulièrement attentifs aux projets sélectionnés, si on veut pouvoir récupérer notre argent… notamment en cas de succession ! », avance Michel Laurent, agriculteur retraité. Et puis, de réunions qui se terminent en repas aux débats enflammés où se muscle l’appétit démocratique, les cigaliers devenus amis trouvent une autre satisfaction, que confie Françoise : « Rencontrer des gens qui ont les mêmes valeurs que nous, ça fait du bien ! » Un gain bien plus palpable que les rendements qu’ils auraient pu trouver ailleurs.
En vingt ans, les membres des Cigales de la Meuse ont aidé 40 projets.